samedi, août 25, 2007

des p'tits éclats, pour donner envie ...





LIGNES DE FUITE vient de sortir. Une pièce de théâtre. Savez-vous que le texte théâtral est une lecture comme une autre? La mode en est hélas passée, allez savoir pourquoi... Vous ne savez pas à côté de quoi vous passez !!!
Pour vous faire une idée de ma dernière création, je vous offre bien amicalement quelques pépites de ce petit bout de vie. Si la curiosité vous titille, si vous avez envie de lire le texte dans son entier, contactez-moi ! Le livre est prêt, tout beau, tout fait à la main, par mes soins. (Jetez un coup d'oeil dans les messages précédents, vous verrez que je dis pas des menteries !) 15 EUROS seulement !

A bientôt peut-être?

Je suis présent tous les dimanches matin sur le "MARCHE DE LA CREATION à LYON" avec mes 9 livres de théâtre, de poésie et autres objets artistiques.



LIGNES DE FUITE (extraits)




(il se remet à chanter en se dirigeant vers son immeuble et soudain, se prend les pieds dans des cartons étalés sur la plate-bande à côté de l’entrée et tombe lourdement en poussant un gros cri vinasseux. Il grommèle des gargouillis incompréhensibles et se relève très difficilement en se frottant les jambes et les bras)

Kavichy kek’sè kce bordel ? Sont tarés ou quoi ? C’t’un truc à s’crabouiller la tronche ! y s’prennent pour des viets ou quoi ? On est pas dans la jungle, ici ! (il se baisse pour ramasser ce qui l’a fait tomber, remonte un carton aplati et une couverture sale)

Kavichy Ah, la salope ! mais c’est l’fourbi de l’aut’tarée d’Odile ! Elle veut tuer kekun ou quoi ? (Il jette à terre le carton et la couverture) Ah ! c’est dégueulasse ! kes’ça pue son truc ! Elle va tous nous pourrir avec sa crasse ! keskon attend pour la virer d’ici, c’te porcasse ? Kelnous foute le choléra , la fiev’ aphteuse ou chais pas kel merde du diable ? (il balance de grands coups de pied dans les affaires d’Odile) A grands coups d’pied au cul, oui, ke j’te vir’rais ça oui ! Ca t’ramène toutes les gueilles du canton, ça t’transforme le quartier en tas d’ordures, ça t’éventre les poubelles pour récupérer chais pas quoi, ça fait v’nir tous les chats crevés du coin, ça pisse, ça chie derrière les portes… Y’en a marre, merde ! Qu’on la foute à l’asile si on peut pas en faire aut’ chose ! On a pas à s’fader c’te cloche ad vitam eternam !
Y’a déjà assez d’tous ces gamins qui pourrissent tout c’k’y touchent ! (il se penche, prend la couverture et la jette au loin de toutes ses forces) Allez, zou, du balais ! (il reprend la direction de chez lui) Dégueulasse, dégueulasse ! Ah ! la cradingue ! t’vas voir, d’main, t’vas voir ! (il disparaît dans l’immeuble)
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(Elle étend consciencieusement son « mobilier » sur la plate-bande, rapproche son Caddy et y farfouille, en tire un vieux bout de pain dégoûtant, s’assoit sur sa couche et commence à manger. Soudain, la fenêtre de Kavichy s’ouvre, au premier étage. Celui-ci apparaît, furax)

Kavichy Ah, t’es là, toi ! profite z’en, demain, tu déguerpis ! et fissa, encore !

Odile keskecè ? C’est à moi k’t’en as ?

Kavichy c’est à toi k’je cause et j’te dis k’tu vas t’tirer d’là ! Toi et toute ta merde !

Odile kesk’elle t’a fait, ma merde ? Elle pue plus que la tienne, peut-être ?

Kavichy Elle m’a fait que j’m’y suis cassé la gueule dessus, voilà c’k’elle m’a fait, et k’demain j’vais porter plainte et k’tu vas charcler d’ici ! C’est pas un camping, ici, c’est pas une poubelle, les clochards, y’a des ponts pour ça, t’as ka y’aller !

(Une fenêtre s’ouvre violemment, au rez-de-chaussée. C’est Félicité qui s’en mêle)

Félicité Oh, c’est pas bientôt fini de gueuler comme ça, y’a les gosses qui dorment, alors, fermez la ! Vous avez vu l’heure ?

Odile S’cuse moi, Félicité, j’voulais pas… C’est l’aut’sauvage, y m’agresse… J’y ai rien fait !

Kavichy J’ai rien fait, j’ai rien fait ! On va voir ça demain ! Dehors, avec ton barda !

Félicité Dis donc, toi, t’as pas compris ? Y’a les gamins qui dorment ch’te dis alors tu la boucles ou je monte te chanter une berceuse ! Si t’es pas bien, t’as qu’à boire un coup, et rêver k’t’es mort, ça nous f’ra des vacances !

Kavichy C’est ça, profite z’en, fais ta grande gueule, toi aussi, à la rue, tu vas t’retrouver avec ta marmaille et l’aut’ tarée en prime ! Et bon débarras ! (il referme violemment sa fenêtre)

Félicité Touche à ma marmaille, comme tu dis ! Tu vas les voir tes couilles ! Pauv’ mec ! corniaud ! (baissant la voix) Ma marmaille, ma marmaille, elle l’emmerde, ma marmaille ! Sale type !

Odile (se rapprochant de la fenêtre de Félicité) Allez, va, c’est rien, c’est ma faute, j’avais qu’à pas répondre… j’le connais, y faut pas répondre, il est bourré comme un coing. Pis, y comprend rien. Va voir tes petits, Félicité, y s’ont peut-être besoin de toi.

Félicité T’as raison, Didile, faut l’ignorer, il est trop con ! Allez, dors bien quand-même ! Ma marmaille ! ch’t’en f’rais voir, d’ma marmaile ! (elle ferme sa fenêtre)

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image d.m.









( Odile revient à son Caddy, en détache un ours en peluche tout sale tout vilain, récupère son trognon de pain, se traîne jusqu’au banc, s’assoit, se met à grignoter, adoptant peu à peu un mouvement de balancier comme pour bercer un bébé. )

Odile Pov’ gars, keskil’y comprend, hein ?
Trop bas, kil est, tout au fond d’sa boutanche
L’a pas les yeux pour voir
Des beaux yeux frais comme nous
T’sais Kiki, chuis sûre ki regarde jamais là-haut
Ki lève jamais la tête en l’air
Vers c’tes étoiles toute brillantes
Vers la Grande Ourse… La Grande Ourse….
C’est ton pays, hein
C’est d’là k’tes v’nu
Pour m’cajoler
Pour m’consoler
Pour m’tenir bien chaud, bien doux…
C’est dur, tu sais
D’êt’toute seule
A même pas avoir un vrai coin pour s’ blottir
Quand y fait froid
Quand y pleut
Quand c’est tout triste au fond,
Quand y’a les mots des autres
Ki t’mordent avec leurs dents toute pointues
Et ki t’lâchent pas
Et ki s’éloignent comme si tu pues
Comme si t’as la gale…
C’est pas ma faute, moi
Si chuis par terre
Avec mes cartons, mon chariot
Mes fringues toute moches
Toute qui puent
Pourtant j’les lave des fois, tu m’as vue,
Mais l’eau toute seule,
Quand t’as pas le savon, les produits, les trucs k’y faut…

……… L’a pas d’maison
Mais c’est normal
Sa mère, l’avait ka pas…
Pis, c’est elle qui veut bien,
L’a une place toute prête…
A l’asile !
Chez les dingues !
Chez les dingues ?
Non, mais, pour ki k’y m’prennent ?
Chuis pas plus maboule k’leur pomme
K’y s’prennent la tête
Pour tout un tas d’trucs, un tas d’ machins
Y savent même pas quoi
Y z’en ont jamais assez
Y trouvent k’y’a trop d’gens sur Terre
K’y faut en foutre à la poubelle !
K’t’es toujours trop ci
K’t’es toujours trop ça
Ou t’es trop Noir, ou t’es trop Beur, ou t’es trop Blanc
Ou t’es trop Jaune, ou t’es trop Rouge, Vert, Bleu…
Y peuvent pas voir kelk’un ki leur ressemble pas
Sans avoir envie d’le mouliner
Et c’est moi k’est dingue
K’a sa place à l’asile !
Mais on ira pas là-bas, hein, mon Kiki à moi
On ira pas derrière leurs vilains murs tout noirs
Derrière leurs f’nêt’es toute sales
Pleines de grillage
K’on voit même pas les étoiles à travers
K’tu peux même pas avoir une plante verte,
K’elle crève tout’d’suite
Tellement k’y’a pas d’lumière qui passe
Ke c’est toujours tout gris
Avec des gens k’ont plus leur tête
Ki crient toute la journée
Ou alors ki dorment en bavant
Tellement k’on les bourre de cachets
De piqûres….
Mais pas les piqûres, hein, Kiki
Pas les piqûres !
Y peuvent s’les garder, leurs piqûres
Z ’ont k’à s’les mettre où j’pense
On en a pas besoin d’leurs piqûres
On est pas malades, nous, hein, Kiki ?
Nous, on d’mande rien,
On d’mande rien à personne,
Juste k’on nous foute la paix,
K’on nous laisse tranquille sur not’ carton
A regarder les étoiles
A écouter c’k’elles nous disent…..

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enfant 3 putain, c’t’ un rat !

enfant 4 kes’t’en sait k’c’t’ un rat ? On y voit ke tchi, faut y’aller !

enfant 3 tu veux k’c’est koi ? un éléphant ? la tête de ma mère c’t’ un rat !

enfant 2 putain les rats, ça m’ débecte, ça pue la mort !

enfant 1 sûr k’ c’est dégueux, ces bestiaux ! ça t’fout la chtouille partout !

enfant 3 t’as raison, faut pas k’y prolifère, faut k’on s’le tape, là, tout d’suite, pas k’y s’en
va !

enfant 2 et comment k’on fait ? t’as kek’ chose pour l’attraper ?

enfant 4 rien à fout’e de l’attraper, c’k’i faut, c’est l’crabouiller !

enfant 2 ah ouais ? Et avec koi ? A coups d’ tatanes ?

enfant 1 dans l’bordel d’la vieille, doit y’avoir des trucs ! t’tendez, j’reviens !

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image d.m.








Félicité Ben ça, chais bien k’t’es chanteur, k’t’écris des trucs, ça empêche pas, enfin je pense… c’est koi k’t’étais en train d’écrire, tout à l’heure ? Une nouvelle chanson ?

Samy Une chanson, oui, un truc romantique, mais ça a du mal à venir, ces temps-ci, pourtant j’ai des idées, j’ai des images qui viennent, j’les ai là, devant les yeux, pis, quand y faut écrire, ça devient brumeux, insaisissable, y’m’vient que des banalités, ça fait « toc »…

Félicité ça fait « toc » ! tu m’as l’air de faire « toc », toi ! Dis-moi pour voir un peu, ta chanson romantique, là, quand tu l’écris, eske tu penses à kelk’un, très fort, comme à kelk’un que t’aimes vraiment, à une « chérie » comme on disait à mon époque ? eske t’en as seulement une de chérie ?

Samy Ben… Euh…. Pas vraiment, non… Alors… j’imagine….

Félicité j’imagine ! Il imagine ! C’est la meilleure, celle-là ! Kesk’y m’a fait un poète pareil ? Il est pas amoureux et y veut écrire une chanson d’amour ! Mais t’as mis ta culotte à l’envers, comme on dit dans mon pays ! (elle rit) J’imagine ! j’imagine ! Hé hé hé !

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Samy là, j’me force, j’ me réveille plus en pleine nuit avec le glou-glou des mots gais dans l’oreille. Quand j’ouvre les yeux, j’vois k’des choses tristes, un vilain monde avec des couleurs ternes, et les mots ki m’ viennent, c’est pas ceux k’on a envie de partager, y m’ font mal à l’intérieur, c’est comme des « mals de dents »… des « mals dedans » ! tiens, c’est pas mal, ça ! mal de dents… mal dedans !

Odile dedans ! le mot k’je cherchais ! à l’intérieur, en six lettres ! Dedans ! C’est ça ! Oui, mais le I, kesk’y vient faire là ?

Marco ouais…. De toute façon, tu sais c’ke j’en pense… t’es pas à ta vraie place, ici ! Et pour c’ke tu viens de me dire, c’est pas toi ki sais plus écrire, c’est ce monde tout médiocre, tout rikiki, minable, ki déteint sur toi ! N’importe kel’ fleur elle crèverait de malheur dans c’trou ! Mais regarde, regarde où on vit ! T’as vu la gueule de tout ça ? C’est gris, ça a pas d’âme, ça a rien d’humain, tu crois k’ceux ki’ont construit ça y z’y habitent ? Même pas une journée y tiendraient, les pauv’ ! Eux, y z’habitent dans la vraie campagne, avec des vrais arbres, des vraies plates-bandes avec des fleurs ke jamais on en verra de not’ vie si on reste ici, eux, y z’ont des vraies maisons avec des p’tits coins sympas partout, avec personne à cent mètres à la ronde pour les emmerder du matin au soir à leur gueuler c’ki faut faire ou pas. Ou alors, dans des quartiers chicos, y’s’pavannent, avec des magasins ou tu trouves des machins du monde entier, plein les yeux, t’en prends à longueur de journée, tout c’ki s’fait d’nouveau à portée d’la main, tu sors ta carte, hop, c’est pour tézigues, t’aimes le cinoche, t’en as dix dans ta rue, des films super, t’as même les starlettes qui viennent les voir la rangée devant toi, t’aimes la zique, des concerts tous les soirs, tu sais t’y prendre, tu d’viens pote avec tous les chanteurs et tu t’tapes toutes les piailleuses k’ici on s’reluque à la téloche en bavant comme des bêtes ; un type comme toi, t’as l’crayon facile, tu connais plein de mots que nous on sait même pas c’k’y veulent dire, tu les fais valser, on dirait k’y sont vivants et k’y font des clins d’œil aux filles, putain, là-bas, un jour, tu sautes sur l’occase, tu leur sors toute ta panoplie, tu leur en fous plein la vue, à genoux, y sont tous, y te badent comme un prince, y te mangent dans la main, trois mois après, t’es à Bercy, avec l’orchestre et tout et tout. Parole, t’as tout c’k’y faut dans les mains pour y arriver, mais pas là , Samy, pas là… T’as vu un mec ki a réussi dans kek’chose en restant ici ? Abdellah, c’est pas sur la p’louse ripou du quartier k’y marque des buts à cent mille euros et Joris, ses articles, y les écrit pas dans l’bulletin de l’assoc locale! Même les amerloques, y lui demandent d’écrire des trucs pour leurs journaux ! Et pour ça, y s’contente pas de s’ traîner de sa piaule à son perchoir et vice-versa : le tour du monde, y font tous les deux, des tours et encore des tours. Ici, quand y reviennent, c’est juste pour la famille et les potes du lycée, les racines, comme y disent, mais la vie, la VIE, l’éclate, la vraie, c’est dehors, c’est pas là, mon Samy, c’est pas là ! Surtout un mec comme toi !

Samy Chais bien, Marco, chais bien. Toutes les fois on rabâche la même chose. Faut s’tirer, faut s’tirer ! Chais bien k’c’est pas là k’y faut k’je sorte mes chansons, mais pourtant, merde ! c’est pour les gens d’ici, ke j’les écris, pour les minots de Félicité, pour tes frangins, tes frangines, pour toi, c’est la vie d’ici ki m’les inspire, elles me poussent dans la tête et j’ai trop envie k’elles vous plaisent à tous, k’vous ayez envie d’les chanter avec moi ! Chuis né là, moi, c’est p’t’et’ pas beau, ça fout p’t’et’ la gerbe à d’autres, mais moi, c’quartier et tous ces gens, j’m’y sens bien au milieux. Même si y’a des cons, comme partout.

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Kavichy (se retournant) foutez-vous bien d’ma gueule, j’arrive !

(il arrive au container qui est presque plein, y balance un premier sac et se met a crier)

Kavichy Ah ! c’est dégueulasse ! un rat crevé ! c’était donc ça, l’boucan d’cette nuit… y z’auraient pu l’mettre dans un plastique ! Putain, si y s’met à y’avoir des rats dans l’coin, ça va êt’ gai ! faut dire qu’avec toute c’te crasse ! Pis c’est koi, un rat jaune comme ça ? un rat chinetoque ? y veulent k’on choppe la peste ou koi ?

Marco un rat jaune ? Merde ! ( il saute de son cube et rejoint Kavichy près de la poubelle)

Kavichy kes’ tu m’veux ? tu crois k’j’ai peur ?

Marco pousse-toi d’là, où il est, ton rat ?

Kavichy où il est… il est là-d’dans, à la poubelle…pourkoi, t’as un p’tit creux, t’as pas déjeuné c’matin ?

Marco pauv’ con ! ( il soulève le couvercle, jette un œil dans le conteneur, le referme) Merde, c’est le bestiau d’ma frangine ! complètement écrabouillé…

( il retourne vers Samy, suivi à quelques pas par Kavichy)

Marco faudra pas lui dire, è’ s’rait trop triste…

Samy t’as raison, faut rien dire

Kavichy ( à quelques pas de là) c’est pas k’les rats crevés k’y faudrait mettre à la poubelle, c’est tous les feignasses dans vot’ genre, ki traînent à rien foutre de leurs dix doigts à longueur de temps ! Vous avez rien d’autre à faire ke d’vous payer la gueule du monde ?

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Kavichy Un peu, ke j’rigole ! toi, respectable ? t’as l’air fine avec tes minots de toutes les couleurs !

Félicité et alors ! j’ai pas honte d’avoir eu plein d’hommes ! vaut mieux ça ke d’viv’ tout seul, comme un égoïste !

Kavichy chuis p’t’et’ un égoïste, mais j’ai pas largué des minots dans la nature à la charge de la société, moi !

Félicité y sont pas largués dans la nature, mes petits, y sont avec leur mère et c’est pas toi ki les nourris, k’je sache !

Kavichy mais ! bien sûr ke si, c’est moi ki les nourris ! avec mes impôts ! paske j’ paie des impôts, moi, madame ! pas comme d’aut’ ki ramassent le maximum sans jamais rien payer !

Félicité toi tu paies peut-être des impôts, mais c’est tout c’ke tu fais pour la société ! moi, la société, j’la construis tous les jours, en élevant mes enfants !

Kavichy koi ? j’fais rien pour la société, moi ? Redis-le, k’j’ai rien fait pour elle ! Et la guerre, c’est toi ki l’a faite la guerre peut-être ?

Félicité Koi, la guerre ? Ah, pask’en plus, t’es fier d’avoir été casser la gueule à des gens ki voulaient vivre tranquille chez eux ? et tu voudrais k’j’en fasse autant moi aussi ? PAN ! PAN ! PAN ! sur tout c’ki bouge !

Kavichy chais pas si y faut êt’ fier ou pas, en tout cas, j’ai risqué ma peau pour la patrie, tout l’monde peut pas en dire autant !

Félicité et moi, chaque fois k’j’ai fait un gosse, j’ai risqué ma peau aussi ! pour donner la
vie ! t’entends, pour donner la vie !

Kavichy tu veux pas aussi k’on t’file une médaille, pour t’remercier d’avoir passé ta vie à écarter les guiboles, non ?

Félicité j’ai p’t’et’ écarté les guiboles toute ma vie avec plein d’mecs, mais ça risque pas k’ça soye pour ta gueule !

Kavichy kesk’elle a, ma gueule, ki t’va pas ? chuis trop Français, peut-être ?

Félicité t’es pas trop Français, Kavichy, j’en ai rien à faire d’où tu sors, mais t’es trop con, voilà, si tu veux tout savoir ! t’es trop con !

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Kavichy kes’ke j’leur ai fait, kes’ke j’leur ai fait ? t’es k’un con… t’es trop con… si t’étais pas si con… y z’ont k’ce mot-là à la bouche… pourkoi j’serais plus con qu’eux ? Y z’ont tous des vies de merde, comme moi, pas plus, pas moins, y’en a pas un k’arrive à s’ dépatouiller mieux k’les autres, tout l’monde a l’nez dans l’caca, tout l’monde essaie de gratter trois thunes pour pas crever la dalle avant la fin du mois, y’en pa pas un ki sort d’l’ENA, là-d’dans, ça s’saurait ! et c’est moi le con ! y’a k’moi k’est con ! Oh, mais j’sais pourkoi y disent ça ! y disent ça paske j’pense pas comme eux, paske j’ai des principes, paske j’aime pas k’on fasse n’importe koi, paske moi j’aime bien kant’y’a de l’ordre et de la discipline ! Où on va si tout l’monde fait c’ki veut ? Ici, faudrait tout accepter sans rien dire !
On t’fout la musique à fond jusk’à point d’heure ? Taka la boucler !
Les gamins jouent au foot dans les bagnoles ? Taka la boucler !
Y font du scooter toute la nuit sous tes f’nèt’ ? Taka la boucler !
Y crachent des glaviots gros comme ça dans les escaliers ? Taka la boucler !
L’autre y fout sur la gueule d’sa bonne femme tout l’monde en profite ? Taka la boucler !
Les chats d’la vieille ki pissent sur ton paillasson ? Taka la boucler !
Les machines à laver ki font du tam-tam au d’sus d’ta tête toute la nuit ? Taka la boucler !
Les sardines grillées ki’t’rent’ par les f’nèt’ tous les dimanches ? Taka la boucler !….

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Rabiha ouais… ben moi, chuis pas si sûre que toi k’y va s’contenter longtemps de rêvasser sur son bloc de béton… ça finira bien par l’démanger d’aller l’voir de plus près, le pays des rêves, et si y’a rien ki l’retient ici…

Sandya ça veut dire koi, ça, « si y’a rien… » ?

Rabiha ça veut dire : si y’a pas une p’tite Nénette bien accro et bien câline, prête à tout pour k’son p’tit bonhomme y s’cravache pas à l’aut’ bout du monde sans elle !

Sandya pourkoi tu veux k’y s’en aille, Samy ? Il est bien ici, il y est né, il a k’des amis, tout l’monde l’aime…

Rabiha tout l’monde l’aime… surtout une ! ki le reluque avec des yeux de merlan-frit ! mais ki fait comme si y’avait rien !

Sandya pourkoi tu m’dis ça ?

Rabiha on est copines d’accord ? alors j’te parle franchement : Tu l’veux, ton Samy ou koi ? tu veux k’y reste ici avec toi ou pas ? t’as envie k’ses chansons y les écrive pour toi au pas ? t’as envie k’y t’fasse des marmots k’y’auront ses grands yeux d’poète ou pas ? alors, si tu veux tout ça, y’a k’un truc, tu le choppes entre kat’z’yeux, tu lui roules un gros patin d’salope et tu lui dis « je t’aime j’te veux » ! Et là , il est cuit, il est à toi, y bouge plus d’ici !

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image d.m.














(au bout de quelques secondes, le carton raplapla est devenu un cube largement capable de contenir une personne et son barda)

Samy et voilà, ma belle, le «Châtô » de la Princesse Didile !

( Odile, fébrile à l’extrême, ouvre un bout du carton, pénètre dans et ressort plusieurs fois de sa « maison », vient récupérer peu à peu tout ce qui lui appartient et en remplit sa nouvelle demeure. Samy la regarde faire, amusé )

Odile ah, dis-donc ! j’aurais pas pu trouver mieux !… y’a tout ki rentre et y’a encore de la place ! …j’te jure, j’peux même inviter kelk’un et faire la fête !… t’as vu, Kiki, y’a une place pour toi su’l’buffet ! avec ton p’tit lit dans l’coin ! …ah, non, pas là, ce s’ra la salle d’eau… tiens, ici, si on pousse le sac… voilà ! on est installé ! kes’t’en dis ? hein, Kiki, ça t’plait ? Oui, t’as raison, ça manque un peu de lumière… attends, on va arranger ça… dis, Samy, on pourrait pas faire une petite fenêtre, là, pis une autre, là, tu vois, comme ça j’pourrai…

Samy Vos désirs sont des ordres, Majesté ! Y suffit de d’mander … Où tu les veux, tes baies vitrées ?

Odile là ! et l’autre ici, une dans la chambre et l’autre dans la salle à manger ! et une au plafond, pour la nuit…tu comprends, la Grande Ourse, pour Kiki…

Samy no problem, m’dame… “Que la lumière soit! »

( avec son canif, il pratique trois ouvertures selon les désirs d’Odile. Puis il prend un peu de recul, la tirant par le bras)

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Sandya keskia, là, ki’è pas bien, k’y faut k’tu partes ? y’a l’feu ?

Samy y’a pas l’feu, Sandya, y’a pas l’feu…y’a l’vide ! le vide ! tu comprends ?

Sandya Ah non, j’comprends pas ! kel vide ? On est pas là, nous ? chuis pas là, moi ? tous les gens d’la cité, ça existe pas ? on est k’des zombies, on compte pas pour toi ?

Samy j’dis k’c’est l’vide paske moi chuis un poète, un artiste, et k’j’ai b’soin k’on m’écoute, k’on fasse attention à c’ke j’dis, à c’ke j’pense, et k’ici, personne en a rien à foutre, j’ai l’impression de vivre avec des sourds, j’ai beau dire dans mes chansons k’on pourrait faire autrement, k’on pourrait mettre un peu d’soleil dans tout ça, vous continuez à faire comme si on était dans une poubelle, comme si on pouvait pas faire autrement ke d’s’essuyer les pieds sur la gueule des autres ! A longueur de temps, c’est k’des engueulades, des insultes, d’la bêtise, bien grosse, bien grasse ! c’est à ki f’ra le plus de mal à l’autre, pondra le plus gros caca ! y’a encore pas longtemps ça m’f’sait marrer, tu vois, comme à Guignol, les gentils, les méchants, mais là, j’en ai marre, d’ viv’ ça en permanence, ça m’dégoûte, c’est moi ki’ai l’impression d’être un zombie dans votre histoire !

Sandya tu dis « vous » comme si j’étais comme tout l’monde…

Samy chuis désolé mais ici, y’en a k’un ki’a compris… ki sait ke si j’fais rien, j’vais mourir comme un poisson dans une verre d’eau ! c’est Marco. Lui, il a compris pask’il est comme moi, il en a marre d’étouffer dans trois gouttes d’air pourri alors k’y’a d’ l’oxygène partout, des milliards de mètres cube à se faire péter les poumons, exploser les neurones ! … keske j’ai comme perspective, ici, hein, tu peux m’le dire ? j’en fais koi, d’mon écriture, d’mes chansons ?

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image d.m.








Simon c’est vrai, ça, la mère d’Marco, elle a toujours été cool avec moi. Quand mon vieux y veut plus d’moi et ki m’fout à la porte, k’y s’met à gueuler k’y va m’flinguer si j’continue à traîner à portée d’son r’gard, j’ai plus k’à m’tirer, à gratter la rue. Alors Marco y m’ramène chez lui, et la mère, elle me trouve toujours une place autour d’la table, « tiens, k’elle dit, quand t’auras mangé de mon gratin de cannelloni qui sent bon comme tout, la vie elle va reprendre les couleurs de l’arc-en-ciel ». Après, elle me fait un lit dans la chambre de Marco et Guido pis j’attends k’ça s’passe au clapier paternel. Jusqu’à la prochaine. Et elle, elle est toujours là…avec ses gratins et sa gentillesse.

(à ce moment, Kavichy sort de l’immeuble avec une fleur à la main, s’approche du portrait et du tapis de bouquets en passant devant les autres. Il se baisse pour déposer sa fleur…)

Sandya ( se levant comme une tigresse) y va pas oser ! on va pas l’laisser faire quand même ?

Samy ( la retenant) pourkoi pas, Sandya ? tout l’monde a l’droit d’être humain une fois dans sa vie…

Sandya après tout c’k’il a fait, tout c’k’il a dit ?

Félicité ( prenant Sandya contre sa poitrine) chut ! ma petite, chut ! ma belle, ce jour appartient à Gina, y faut pas k’on l’salisse dans d’la colère, ce s’rait pas bien, ça la rendrait toute triste, là où elle est...

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Cassy j’m’appelle Cassandra…Cassy, pour les intimes…en fait, j’passe kelkes jours chez ma cousine, Virginie. Elle habite la tour B…

Samy Ouaaahhh ! ça y est ! je m’rappelle, main’ant ! tu v’nais ici k’pour les vacances ! « Madame la Princesse Cassy » ! c’est ta tante ki t’app’lait comme ça ! elle disait toujours k’tu f’sais ta chochotte ! ça t’mettait en colère !

Cassy j’vois k’ça t’a marqué ! et toi, c’est comment, ton nom ? t’étais ki ?

Samy moi, chuis Samy ! j’étais toujours avec Marco et les autres ! on allait vous enkikiner dans les bacs à sable !

Cassy Samy… Samy… j’vois pas, hein…

Samy et Atchoum, ça t’dit rien ? on m’appelait comme ça à l’époque, j’étais toujours enrhumé !

Cassy AAAAAAAAHHHHHH ! salaud ! j’y suis, main’ant ! (lui donnant des bourrades gentilles dans la poitrine) salaud ! salaud ! salaud ! t’avais arraché les bras d’ma poupée ! salaud ! salaud ! keske j’t’ai haï !… ben mon salaud, kes’t’as changé ! j’t’aurais pas reconnu !

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Samy t’es une sacrée nénette ! tu sais c’ke tu veux, toi ! et t’as réussi ?

Cassy j’pense ke c’est bien parti ! y’a bien fallu k’y s’ serrent un peu, k’on m’fasse une p’tite place autour d’la table… faut pas croire k’ça a été facile ! une fille, en plus… mais j’ai rencontré d’autres drôles de phénomènes comme moi, des types, des nanas, mais faut les attacher au radiateur sinon y t’ relookent la tour Eiffel en jaune fluo et l’Sacré-Cœur en charlotte à la framboise ! y’a des musicos, aussi, des ki fabriquent leurs instruments, ki t’inventent des sons tout droit surgis du fond du monde ou de l’âme du vent ; des poètes ! des poètes ! comme toi, ki disent le monde avec des mots si forts, si justes, si tendres parfois…alors, ensemble, on arrive à forcer les barrages, les barrières, à se faire ouvrir des portes, à semer nos graines d’art vivant…et on nous paie même pour c’k’on fait main’ant! pas toujours bien, en traînant les pieds parfois, mais j’te jure k’d’voir son travail reconnu, estimé, ça c’est du vrai bonheur ! tu t’sens exister ! Au printemps dernier, j’ai fait une fresque de quatre étages sur un mur d’immeuble ! tiens, j’l’ai là en photo !

(elle ouvre son carton à dessins, en tire la photo)

Cassy ça jette, hein !

Samy c’est monumental ! génial ! c’est de la pierre, du ciment, ça pèse des tonnes et des tonnes, et toi, tu fais flotter ça comme une feuille dans un courant d’air !

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Samy Eh bé ! on peut dire k’t’es une sacrée meuf, toi ! tu t’tords une cheville, par hasard, là, juste devant moi, et un quart d’heure après, me v’là dans ta valise en partance pour chais pas où…au fait, cette ch’ville tordue, c’était vrai ou pas? J’ai un doute, tout d’un coup…

Cassy Aaaaaahhhhhh ! Samy, même les plus grands poètes ne connaîtront jamais le fond de l’âme des femmes, la fragilité de leurs chevilles et leur science du hasard !… alors, tu réfléchis ? j’pars demain…t’as pas trop l’temps, mais c’est comme ça…faut quand-même ke j’te dise, ça peut t’aider, je chante très bien ! très très bien ! j’tiens ça d’ma mère…

Samy t’es un vrai p’tit diable, toi ! …j’vais réfléchir, promis…

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(Fiers de leur travail et contents de leur Chef, les employés vont pour retourner à leur voiture. Ils aperçoivent le carton d’Odile.)

Employé 1 et ça, Chef, kesk’on en fait ?

Employé 2 si l’Maire voyait traîner c’foutoir…

Le Chef z’avez raison, les gars, y’a k’à tout met’ dans la remorque.

Employé 3 on va finir par l’rater, c’match !

Employé 1 tiens, attrape ça, au lieu d’râler…

( les quatre hommes enlèvent toutes les affaires d’Odile et les mènent à leur véhicule. Ils s’en vont.)


















image d.m.















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Texte déposé à SACD/SCALA






3 commentaires:

Anonyme a dit…

ch'suis pas Cassy, mais je dessinerais bien une fresque pour Samy après avoir lu toute sa pièce d'un trait comme l'aurait bu toute sa bouteille le Kavichy!
Heureuse d'avoir parcouru ton carton à mots de poète Hombre et de t'y retrouver toi et ton petit monde :)
ch'suis sure que la pièce des Dominos y vont adorer!!!!
j'ai le sourire jusqu'à la fin de la journée :)))

Anonyme a dit…

j'adore ta petite phrase: "même les plus grands poètes ne connaîtront jamais le fond de l'âme des femmes, la fragilité de leurs chevilles et leur science du hasard"
ça me fait penser à la chanson de Camille "le sac des filles"!
je pourrais te la citer?
je t'ai fait un clin d'oeil de chez moi ;) et je t'en remets un ici!

Anonyme a dit…

Ma Lagune, ma Dune, je te remercie de tes mots réconfortants. Je me régale de ton sourire et de tes appréciations sur le petit monde de Samy.
Quant à la phrase que tu soulignes, chaque fois que je l'ai relue pendant mes travaux de mise en pages, tu m'es apparue avec, justement, le fameux sourire de la Sylvie-Camille canailloute!
Bien sûr, si tu veux m'offrir à lire une chanson, elle a toute sa place dans ces pages et dans mon coeur.
Je t'embrasse tout chaud.
Denis