vendredi, août 11, 2006

SILICIUM 8

encre d.m.

chapître 6 Elle (3)

La douleur fut vive, insupportable. Une grouillitude de scorpions d’acier bleu lui vrillèrent leurs dards incandescents dans cette chair pétrifiée et pourtant si sensible aux morsures de la vie. Il se recula vivement, le corps déjà presque entièrement enfoui dans la chaux. L’oasis s’était recroquevillée, ses vapeurs humides dissimulées au cœur de quelques ronciers hérissés de choses pointues. Et par des ondes nerveuses, grinçantes, qui ne réclamaient pas de réponses, lançait à l’homme effondré qui l’avait égratignée de sa main râpeuse, des mises au point définitives et mortifères :

- « Pas ça, pas avec toi, jamais avec toi. Ma chair, mon âme sont couturées de cicatrices saignantes encore. Mes racines carbonisées apprennent à ne plus rechercher que l’eau raréfiée des sources souterraines. Moi aussi je souffre, plus que toi, sans doute, de me retrouver au fond sec du monde. Je viens de si loin, j’ai tellement joui de cette vague qui m’a tant donné et qui m’a fait si mal. Ce n’est pas la vie que j’attends de toi. Sais-tu seulement ce que c’est, la vie ? J’attends de toi de la consolation fraternelle, un compagnonnage de reconstruction, que tu sois un amical tisserand de notre verbalité, un conteur d’histoires, débonnaire, un nounours empaillé et fidèle. Je compte sur toi pour remplir de vrombissement assourdissant le temps que je passe à m’interdire de vivre la vraie vie, la vraie, celle qui brûle tout sur son passage, pas ta vie de jardinier, de poète triste. »

Démoli, vidé, fracassé, l’homme de sable reprit lentement, très lentement, sa reptation solitaire. Au fur et à mesure de son éloignement, il sentait se détricoter les mailles des mots communs, les ramifications fraternelles se scindaient en vocabulaires distincts, les échos réciproques s’estrangisaient, ne se comprenaient plus. Il rampait, rampait dans la chaux et, exténué de douleur, finit par se ramasser, crispé à l’abris de son écaillation millénaire, en implorant l’implosion libératoire.




encre d.m.

Il reprit conscience sous un soleil battant. L’amertume de son sort inonda de suite son esprit. Le rejet, à tout jamais, à la sablitude, désespérante sablitude. Le don entier de lui qu’on avait refusé. Et cette ritournelle qui lui venait, qui s’enkystait dans son cœur, qu’il croyait avoir entendue des palmes même de l’oasis mais qu’il avait dû inventer, sûrement :

« C’est à la ronce hérissée et cinglante
que gémit et s’enchante
le vent fou,
pas au tapis endormi
de l’herbe molle et fade,
pas à l’arrondi fuyant
du galet trop poli,
squelette presque dissout
à l’usure du temps
des mondes morts.

Je ne veux pas mourir,
je veux gémir et chanter
et m’enchanter encore,
je ne veux pas mourir
au catafalque
de ton amour morne… »


encre d.m.

Avant de repartir, s’abandonnant enfin et pour toujours à son destin de sable brûlant, il se retourna pour respirer une dernière fois les odeurs tièdes de l’oasis. C’est alors que là-bas, à l’horizon, derrière ce bout de terre qu’il avait tant aimé, il crut sentir l’approche, dans le désert poudroyant, d’un groupe de cavaliers sauvages, sanglants, exhibant aux flancs de leurs montures, des têtes d’enfants fraîchement coupées. Il crut entendre le glougloutement de la source se grimer soudain en mugissements de cataractes propres à dessoifer tous les pirates de la terre. Crut-il percevoir ? Crut-il entendre ? Son cerveau devait avoir fondu à la fission de son dernier espoir.


Alors, le découragement l’emporta…


encre d.m.

chapître 7 Alors...

Alors, le découragement l’emporta, il détourna son regard de pierre du côté du désert. Une énorme dune s’était élevée devant lui, frémissante d’un bouillonnement de fournaise. Il comprit que le temps était venu, qu’il n’y aurait plus jamais d’oasis. Il ferma ses yeux d’agate, brûlés des rayonnements de la lave poudreuse, une espèce de goutte de saumure s’échappa du coin aride de son œil, creusa un sillon d’acide sur sa face craquelée. Personne n’aurait pu dire où, en lui, la fatigue de vivre « ça » avait su trouver une molécule d’humidité. Depuis le temps qu’il séchait !
De la même rage qu’il avait mise à surnager, il ouvrit la bouche, le plus grand qu’il put, malgré la douleur des gerçures qui se déchiraient, s’enfonça la face dans le sable incandescent et aspira la mort à grandes gorgées. La montagne de feu en poudre se déversa sur lui, en lui.

Il ne reste rien de l’homme silicium. Il n’est plus que sable au sable du désert. Apaisé enfin.

D’ailleurs, a t’il jamais existé ?

"Silicium" extrait 8 et FIN texte déposé à SACD/SCALA


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Hombre de nada, tu m' avais prévenue...
L' oasis et l' homme de sable, après un ébauche de rencontre se sont éloignés l' un de l' autre, La belle, cicatrisant d'anciennes blessures de la passion recherche une compagnie plus fraternelle..., quoique, le vent fou n' est-il pas l' annonce d' une nouvelle passion vitale?
Et pourtant,jusqu' au bout, l' homme de sable reste maître de ses choix ( mais peut-on parler de choix en ces moments-là? ) et décide lui-même d' aspirer dans un ultime désespoir ou une ultime rage la gorgée de mort...
Cet épisode me renvoie à la disparition ( suicide?) de mon frère noyé... Que ne me suis-je posée de questions, que n' ai- je culpabilisé, enragé, pleuré ( plus sur moi sans doute que sur sa disparition...) En est né un roman : Testament... et j' ai accepté de ne pas juger, de respecter cette issue fatale...
L' homme de sable, tout comme l' oasis sommeillent en chacun de nous...
Débordent-ils parfois? Explosent-ils aussi...Sans doute et c' est bien ainsi...
Seuls m' effraient dans ton texte les cavaliers noirs assoiffés de mort et de meurtres... C' est cette cruauté là qui me met le coeur à l' envers...
L' homme de sable dort à présent apaisé, je ne sais? Quel est le chemin de l'âme après la mort...
Je pense qu' il n' est pas , contrairement à ce que l' on dit de tout repos, fabuleux et exigeant sans doute...Encore une question ouverte...
Merci pour ce partage, Hombre de nada...
Le quartz et l' opale ne sont-ils pas aussi porteurs de silice?
Je verrai dans chaque pierre à présent un peu de la douleur et de la lumière sacrifiée de l' homme de sable...

Anonyme a dit…

Kaïkan, Kaïkan, ce drame personnel que tu me confies me touche profondément et je suis désolé de réveiller en toi ces souvenirs.

C'est un homme en lambeaux (une vraie histoire d'oasis...) qui a écrit "Silicium" mais cette écriture lui a sauvé la vie. Ce qui m'a sauvé de la dune de feu, c'est surtout des copains théâtreux qui m'ont prèté un petit local et un ordi pour que je puisse réaliser ce texte et par de-là, la fabrication de mon premier livre artisanal. Le début d'une nouvelle passion de vie.
Je te remercie très fraternellement pour tes messages de partage. Je serais très heureux si tu acceptais de faire connaissance très bientôt avec mes prochains personnages: deux petites Nenettes "comme ça" confrontées à un drôle de type. C'est du théâtre.
A tout bientôt sur ton site et dans les pages du "Grand Livre de la Seiche".

Anonyme a dit…

Hombre de nada, c' est sans doute l' écriture qui m' a aussi aidé à traverser cette épreuve...
Il me reste à mettre ce livre en page correcte pour une édition à titre d' auteur mais là, je peine, c' est le côté ennuyeux pour lequel j' ai du mal à m' appliquer...
Parfois, j' avais l' impression étrange de me nourrir de cette situation pour trouver une énergie à l' écriture à moins que je ne sois guidée par cette main défunte ( en partie du moins), va savoir...
C' est avec plaisir que je suivrai les péripéties des deux petites " nenettes" et du drôle de type...
Ton écriture m' interpelle, elle fait écho avec quelque chose de mon intériorité rebelle...
Certaines images m' effraient mais cela fait partie ( aussi, malheureusement ) de notre univers...
Il est vrai que je ne m' y appesantis pas toujours, à tort ou à raison...
J' essaie de rester intègre et sans doute suis- je déjà dans un demi-mensonge tant la tâche est périlleuse...
Cet espace est un espace de vérité et je te remercie pour cela, Hombre de nada...